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TRIBUNE DU MONDE

Dans la ville israélienne de Ramlah, les premiers fruits d'une coopération entre Juifs et Arabes

Paris, le 3juin 1996.

La paix est, bien sur, l'espoir de tous les Israéliens. Mais quelle paix, par quels moyens, et avec quel but ultime? C'est la question qui se pose après la victoire obtenue de justesse par le parti du Likoud aux élections du 29 mai dernier. Quelles que soient les politiques qu'adoptera le gouvernement Netanyahou, les populations juives et arabes devront vivre côte à côte, même Si les vicissitudes de l'histoire ont fait que peu de villes israéliennes aient une population mixte. Le cas de Ramlah est significatif. Dans cette cité située sur la route reliant Jérusalem à Tel Aviv 5().O(X) Juifs coexistent avec 12.000 Arabes, dont une moitié vit dans des rues ethniquement mélangées, l'autre dans des banlieues déshéritées. Depuis plus de deux ans. une coopération a commencé à s'instaurer qui mérite d'être connue.

Notre attention a été attirée tout d'abord par un article paru en septembre 1994 dans le magazine Jérusalem Report . On y évoquait le fait qu'à l'occasion des élections municipales de novembre 1993, Yoel Lavi, maire de la ville, membre du Likoud et ancien officier de carrière, avait invité un nationaliste palestinien, Michail Fanous, dirigeant de l'association Progrès et Égalité, à rejoindre sa liste. Réponse de Fanous:

"Oui, à condition d'avoir un poste officiel au Conseil municipal. Je ne i'ais pas entrer à la mairie par la petite porte!"

Et le maire de s'expliquer: "En tant que juif je suis profondément trou blé par le fait que les écoles arabes ne sont pas aussi bonnes que les écoles israéliennes et que les enfants arabes ne partagent pas les aires de jeux des enfants israéliens." Fanous n'avait jamais entendu telle affirmation de la part d'un responsable politique israélien.

Le maire a tenu parole. Fanous, qui est originaire d'une famille chrétienne. a été nommé directeur de l'éducation arabe, avec un budget substantiel. Les deux hommes s'efforcent, militaire de droite et militant nationaliste palestinien. de mettre fin à des décennies de discrimination. Leur coopération ne se fait pas sans mal. comme en témoigne cet échange noté par l'auteur de l'article du Jerusalem Report:

Lavi: "D'accord pour la coexistence, dans l'égalité. Mais nous sommes dans un État juif Si vous voulez changer cela, je vous combattrai."

- Fanous: Je ne demande pas un palestinien à Ramlah. Mais pourquoi ne n'aidez-vous pas à combler mes aspirations dans les territoires? Je puis être

" Ils s'efforcent, militaire de droite et militant nationaliste palestinien, de mettre fin à des décennies de discrimination "

comme un juif américain: loyal envers mon pays, loyal envers mon peuple'.

Lavi: Il y a longtemps que je suis pour un État palestinien.

Fanons: Où, en Jordanie?

Lavi: Où, ça m'est égal. Si ma sécurité est garantie, vous serez surpris à quel point je suis généreux avec les frontières.

Fanons: Et dire que vous êtes du Likoud! Maintenant je sais que je peux travailler avec vous.

Lavi: Mais je n'en aurai pas pour alitant les voir des Arabes de Ramlah.

Fanous: S'il y avait des élections demain, je ferai campagne pour vous.

Fanous voudrait me voir premier ministre", chuchote le maire à un de ses conseillers.

Fanons: "Nommez-moi ministre de l'éducation, et l'affaire est dans le sac!"

Aujourd'hui, après deux ans et demi de coopération, le pari a-t-il porté ses fruits? Les changements ne se font pas tous à grande vitesse, mais ils sont nombreux. Micaela Harari, de la Maison ouverte de Ramlah, centre d'accueil des enfants arabes de la ville et lieu de rencontre des communautés, constate que les habitants juifs acceptent de mieux en mieux de participer avec leurs voisins arabes à des initiatives communes. Elle souligne l'importance du fait que la Fédération juive de New-York et la fondation amé- ricaine Abraham, qui soutient la promo- i on des relations Juifs-Arabes en Israël, aient choisi Ramlah pour y financer des programmes de développement inter- communautaire.

Un soutien scolaire a été mis en place pour favoriser la prolongation de la scolarité jusqu' au baccalauréat des jeunes Palestiniens. Le budget des écoles arabes, où le taux d'échec avoisine les 30%, a été augmenté. Pour la première fois, les fêtes musulmanes et chrétiennes ont pu être célébrées et des subsides ont été alloués aux écoles arabes pour leurs manifestations culturelles. Les camps d' enfants organisés par la Maison ouverte ont attiré chaque année un plus grand nombre de participants juifs au côté de leurs camarades arabes. Des programmes pour la paix ont été organisés depuis deux ans pour les enfants par la Maison ouverte et le Centre communautaire de Ramlah. Priorité a été donnée d' autre part au développement des infrastructures dans les quartiers palestiniens.

La reconnaissance internationale des efforts de coexistence conduits à Ramlah a donné à la ville un prestige accru au côté des grandes villes voisines. Jérusalem, Tel Aviv et Haïfa. Enfin, des réunions de parents des deux communautés ont lieu chaque mois. Tandis qu'un programme radiodiffusé et télévisé de formation pour les femmes arabes a été lancé.

Une indication des transformations intervenues dans la ville a été donnée après tes attentats-suicide du mois de mars. Alors que soufflait un vent de désespoir dans la population, au plan local comme au plan national, les Arabes de Ramlah ont organisé pour la première fois une manifestation. Trois cents d'entre eux. Appuyés par des supporters juifs, ont dit leur refus du climat de terreur.

Le maire considère le statut de la minorité arabe comme essentiel au développement de la ville

Pour 1 'auteur de l'article du Jerusulem Report, l'engagement croissant dont a fait preuve le maire Yoel Lavi pour améliorer les relations intercommunautaire. A joué un rô1e décisif dans la notoriété internationale reçue par Ramlah, Le maire considère le statut de la minorité arabe comme essentiel au développe- ment de la ville. Le journaliste ajoute qu' au plan national la participation des Arabes israéliens dans les primaires récentes et leur représentation au sein des listes du parti travailliste indiquent qu'ils entendent jouer un rô1e plus important à l'avenir. Ramlah, microcosme de la coexistence arabe-juive, a peut-être montré le chemin.

YoeI Lavi, maire de Ramlah, n'est pas l'homme des sourires. S'il possède de l'humour, celui-ci ne se manifeste que rarement. Ses origines l'expliquent peut-être. Il est né dans une famille polonaise immigrée. Son père a fait la guerre comme soldat de armée rouge: Sa mère a survécu à l'holocauste dans un camp de concentration, refusant par la suite les réparations proposées par les Allemands: "Pas d'argent en échange du sang!" Durant la guerre du Kippour, Lavi a été blessé à la tête. Sortant de l'hôpital huit mois plus tard, il a voulu rester dans l'armée et a atteint le grade colonel. Revenu plus tard dans le civil, mais sans expérience politique, il a été choisi par le Likoud pour piloter la liste de Ramlah. "Je ne suis pas revenu ici - RamIah est son lieu de naissance - pour accroître mon niveau de vie. Je suis venu pour aider Ramlah.".

D'un style presque opposé, Michail Fanous, râblé, nez en bec d'aigle, chevelure noire abondante, parle des souffrances des Arabes de Ramlah dans un flot précipité, plus perplexe qu'enragé; il n'a pas de temps à perdre, ne comprenant pas comment l'injustice peut être tolérée Il est aussi né à Ramlah, d'où Sa famille a évité de justesse l'expulsion en 1948; il a fait ses études secondaires dans un collège juif, devenant Si populaire qu'il a été élu président du conseil des élèves du secondaire de la ville, pourtant presque exclusivement juif En 1987, il a émigré à Dallas, dans l'intention de devenir américain, là où l'on peut être une personne à part entière. Mais après avoir vu les scènes de l'Intifada sur le petit écran, il est revenu à Ramlah, décidé à combattre la discrimination. Comme Lavi, il a quitté la facilité pour servir un idéal.

Changer N°276 juillet-août 1996

Jean Jacques ODIER d'après des notes de Micaela HARARI et l'autorisation de citer de Yossi KLEIN HALEVI, du Jerusalem Report.